De la brève de fait divers à la visite du président de la République : 10 ans de PQR

Pierre Destrade
7 min readMay 31, 2021
“Coucou Président”, lance le petit garçon sur les épaules de son père, au président de la République Emmanuel Macron, venu à Nevers pour annoncer le pass culture et pour rencontrer la jeunesse, vendredi 21 mai 2021.

En mai 2011, j’écrivais mon premier papier pour Le Journal du Centre, titre de presse quotidienne régionale dans la Nièvre, appartenant au groupe Centre France. Dix ans plus tard, en mai 2021, j’édite mes images après le déplacement du président de la République Emmanuel Macron, à Nevers. Retour sur une décennie pendant laquelle je suis passé du stylo à l’appareil photo. Entre les deux, de nombreuses pérégrinations dans la Nièvre, des expériences dans les différents services de la rédaction, et un prix Varenne de la Photo déterminant.

Une sauce bolognaise trop diluée

EN 2011. Un 4x4 s’est retourné après un virage près de Corbigny, village de la Nièvre. L’occupant, malgré les soins des équipes du SAMU, et de son transport en hélicoptère à Dijon, est décédé des suites de ses blessures.

Il y a dix ans, le rédacteur en chef du Journal du Centre me débauchait d’un hebdomadaire du Bourbonnais pour me proposer un CDD à l’agence de Clamecy du Journal du Centre. Je démissionne de mon CDI pour ce CDD sans promesse. Une petite folie quand on regarde en arrière.

Commune de 2000 habitants du nord de la Nièvre, où aucun journaliste ne souhaite aller parce que “c’est loin de tout” et que l’actualité n’y est pas “folle”, mon premier souvenir de cette capitale du haut nivernais est un plat de spaghettis trop cuites baignant dans une sauce bolognaise trop diluée.

Pourtant, c’est “là-haut” que je vais faire mes armes en tant que journaliste, en couvrant une actualité locale, micro-locale, dirait-on dans le jargon journalistique. Déjà à cette époque, j’aimais faire des photos et je profitais du fait que les photographes de presse du Journal du Centre étaient occupés ailleurs pour réaliser textes et images. Mon premier papier ? Mille signes et une photo sur un poids lourd bloquant la circulation de la route nationale 151. Un sujet simple, qui m’a pris plus de temps pour me rendre sur les lieux et pour en revenir que les dix minutes passées à rédiger l’article. Mon aventure était lancée.

Travailler en agence a été très formateur car j’ai pu apprendre à gérer des correspondants locaux de presse, tenir un agenda de prévision des sujets forts de la semaine, entretenir le relationnel avec les différents acteurs de la zone couverte, et participer aussi aux discussions avec les lecteurs qui venaient se renseigner dans notre agence. Il fallait également savoir mettre en page nos articles, participer aux sujets départementaux avec un éclairage “local”. Et tout cela, aussi bien sur le print que sur le web. Une très bonne formation en somme, qui permet d’être à l’aise dans n’importe quelle situation.

Le gendarme joueur de foot Ufolep

Des opposants au projet de scierie industrielle Erscia, dans le bois de Marigny, près de Sardy-Lès-Epiry, face aux gendarmes mobiles, tentent d’empêcher la coupe des premiers arbres.

Et puis vint 2013, véritable tournant dans ma carrière. Lundi 4 février, au petit matin, mon téléphone à l’agence sonne : le chef du service Actualités m’appelle : ça bouge dans la forêt de Sardy-Lès-Epiry. Depuis plusieurs mois, un projet de scierie industrielle fait débat dans cette partie des contreforts du Morvan, près de Corbigny (au centre du département de la Nièvre). Les élus poussent pour le projet. Des habitants et des associations de défense de l’environnement veulent le faire capoter alertant sur le risque écologique et un financeur pas solide. Le 4 février, date où les premiers arbres de la forêt doivent être coupés, des membres d’Adret Morvan et des habitants empêchent les bucherons de travailler et s’installent. Des gendarmes mobiles sont appelés, la zone est bouclée. Elle devient une zone à défendre (ZAD), un an avant Notre-Dame-des-Landes.

Le journal fera son ouverture de “fait du jour” le lendemain. Les collègues de Nevers sont à 1h de route du lieu de l’événement. Depuis mon agence, je peux y être en deux fois moins de temps. Je prends mon appareil photo, un calepin et je file. Une de mes images sera récompensée du prix Varenne de la Photo 2013, dont le jury était présidé par le photojournaliste Reza.

Pour l’anecdote, cette photo n’a été possible qu’avec un coup de chance. Alors que la télévision et différents médias locaux étaient sur place, barrés par les gendarmes mobiles, je me promenais le tour du bois pour tenter une incursion. Je suis alors tombé sur un gendarme de la brigade voisine, contre qui j’avais déjà joué au football avec Le Journal du Centre. On a discuté. Il m’a dit qu’ils étaient derrière lui, tout droit à 500 m. Je lui ai demandé si je pouvais passer. Il a fait un pas de côté. Me voilà avec les zadistes et les gendarmes.

La collation avant la pression

Ambiance morose pour le dernier cross de l’année : il se déroule le lendemain de l’attaque de Charlie. Même dans le sport, la tête n’est pas à courir.

Trois années et demi plus tard, je quittais l’agence de Clamecy pour le service des Sports à Nevers. Si j’aimais et pratiquais le sport, je n’avais jamais couvert un événement sportif pour un journal. Cela a donc été un nouvel apprentissage du métier de journaliste sportif avec une discipline en particulier l’athlétisme. Dans la Nièvre, le niveau sportif n’est pas remarquable. Mais dans chaque discipline, il m’a permis de rencontrer des personnes passionnées, douées et d’affiner mes compétences, que ce soit dans le choix des sujets, des angles et des photos. Encore une fois, je réalisais les textes et les images sur mes reportages. Même en presse quotidienne régionale, j’ai pu vivre des moments sympas : interview de Renaud Lavillenie lors d’une compétition internationale de saut à la perche, Euro 2016 de football, montée en Pro D2 du club de rugby de l’USON Nevers, suivi de Gauthier Grumier lors des JO de Rio en 2016, etc.

Plus que les sujets à traiter, ce sont l’organisation du service et les relations avec les collègues qui m’ont le plus marqués dans ce service à part, du fait du rythme que les compétitions imposent. Pas de week-end. Des jours travaillés avec de fortes amplitudes horaires… passant parfois, auprès des collègues “de journée” comme des glandeurs. Il faut les comprendre : Nous errions dans la rédaction en pleine “décompression” tous les débuts de semaine, où se succédaient les collations. Mais cela tranchait avec la fin de semaine (dès le jeudi) avec des journées plus remplies, où la pression était permanente pour rendre les pages à la bonne heure. A voir le rythme et la façon de travailler des collègues “de journée”, nous n’avions vraiment pas le même travail. Cela a été en tout cas un moment formateur pour écrire vite, réfléchir vite, savoir anticiper et travailler en équipe.

Plus de sel, que du coton

Session du conseil départemental de la Nièvre, où de nombreux élus parlent très bien la langue de coton.

Après quatre années à côtoyer des sportifs et des personnes animées uniquement par la passion de leur sport, je retournais à l’actualité départementale, en tant que rédacteur. Un moment contrasté : si je proposais et réalisais de nombreux sujets d’initiative qui m’ont passionné, je n’arrivais pas à retrouver le sel des reportages au service des sports. Je n’arrivais pas trouver de sujets intéressants, de personnes intéressantes, à raconter. Ici, on me demandait “surtout de bien insister sur ce point parce qu’il est essentiel”, là on me parlait de “co-construction”, de “faire société” ou de “nouveaux paradigmes”, ces termes qui sont là pour faire joli mais qui sont à ranger dans le registre de la langue de coton.

En continuant souvent à réaliser mes images pour mes reportages, c’est à ce moment que je me suis rendu compte que la photographie était un medium sur lequel les “sujets” n’avaient pas de prise. Quand un rédacteur doit sortir quelque chose de convenable d’une intervention “inutile” d’un politique (mes respects), le photographe peut toujours trouver un nouveau challenge pour sa prise de vue : un rayon de soleil qui s’invite, un geste qui va marquer l’image, une expression, un regard, un arrière-plan, etc. Oui… sans doute qu’en étant photographe, je m’éclaterais davantage qu’en tant que rédacteur.

Plus difficile de couvrir un fait divers que Macron

Une famille, enfin en sécurité, regarde les flammes consumer leur appartement, dans un immeuble HLM de La Charité-sur-Loire, en 2019.

C’est ainsi que j’ai basculé dans le service photo en fin 2018. Une aventure qui a eu pour point d’orgue, il y a quelques jours, la venue du président de la République Emmanuel Macron à Nevers. Pourtant, ce n’est pas ce sujet précis qui m’aura mis la plus grande pression. Car j’ai vécu des moments plus difficiles à photographier dans le sens où il ne faut pas manquer un instant décisif (en sport par exemple), des moments avec une plus grande pression psychologique ou professionnelle (comme les faits divers, les Gilets jaunes), ou encore les sujets qui demandent davantage d’implication personnelle (les sujets Covid de la réanimation et des pompes funèbres, les migrants, etc.).

Et c’est finalement dans ce domaine que je me sens le plus à l’aise. Produire des images qui collent aux angles des reportages de mes collègues rédacteurs, proposer des idées et réaliser des illustrations, conseiller les rédacteurs sur le choix des photos, participer au choix de Une du quotidien, aider les confrères ou les correspondants de presse à la prise de vue pour dans des situations spécifiques, etc.

En trois ans et demi, je ne me suis jamais lassé une minute. Il y a toujours un nouvel angle de prise de vue, une météo qui change, une technique à apprendre, un nouveau défi à relever. C’est ce qui est passionnant dans le journalisme. C’est ce qui me motive dans le photojournalisme.

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